Contre le passe sanitaire philosophiquement ou

les arrière-pensées tyranniques du pouvoir quant à la liberté

Cet article se veut tout d'abord une réponse à celui de Luc Ferry dans le Figaro du 4 août 2021 et la question du civisme et de la démocratie « Pour le passe sanitaire philosophiquement » (https://www.lefigaro.fr/vox/societe/luc-ferry-pour-le-passe-sanitaire-philosophiquement-20210804) . Ce qu'il y a de bien avec la philosophie, c'est que l'on peut développer une thèse et l'antithèse. L'ambition de la recherche de la « vérité » doit pouvoir se réaliser et s'accomplir aussi avec humilité. 



En se proclamant, avec tant de conviction philosophique pour le passe sanitaire Luc Ferry parait vouloir prétendre à l'énonciation de la vérité, qui reste « sa vérité », même s’il s’agit d’une thèse qu'il partage avec de nombreuses autres citoyens et hommes politiques.  Notons qu’elle ne fait pas l'unanimité, loin de là… et le « philosophiquement »  ne peut la déduire de l'affrontement des thèses, tout comme si les adversaires du passe sanitaire, ne pourraient être que dans l’erreur ou l’ignorance. La vérité serait-elle alors dans le verdict démocratique, comme il le laisse entendre ? La vérité de la majorité ? En ce cas, remarquons le,  vérité toute relative à un état de l'opinion,  car il convient de  se demander comment cette dernière est constituée, en ces temps d’hyper-communication où se croisent les sensibilités algorithmiques tant du côté des jeux politico-médiatiques que du côté des réseaux sociaux. Quant au processus de la prise de décision qui a imposé le passe sanitaire, on peut également s'interroger sur sa nature « démocratique » reconnue, accordée, affirmée par Luc Ferry. Là encore, peut-on émettre un doute :  la vérité démocratique n'est peut-être pas entière dans les institutions, dans la Constitution. N’est-elle pas largement affectée par les pratiques de leur fonctionnement ? La « vérité » ? Ne bruisse-t-elle pas dans propos dit en coulisse, dans les « arrières pensées » du pouvoir, que se soit de manière anonyme comme ceux d’un conseiller ministériel de premier plan commentant la « vérité » (politique) du passe sanitaire : « Ça va être primauté aux vaccinés et vie de merde pour les non-vaccinés. » [ https://charliehebdo.fr/2021/07/politique/xx-xx-2/ ]  ou ceux d’un Ministre de l’Education   : "les élèves non vaccinés seront évincés, mais pas les vaccinés", [ https://www.francetvinfo.fr/societe/education/video-covid-19-en-cas-de-contamination-dans-le-secondaire-les-non-vaccines-seront-evinces-annonce-jean-michel-blanquer_4718823.html ]

C'est la même chanson que nous chante,  à sa manière, l'éditorialiste de L'Express, Anne Rosencher, dans  un premier édito du 15 juillet où elle fustige les antivax d'alimenter toujours plus  « l'extension du domaine de l'égoïsme »  et de développer «  une conception adolescente de la liberté » au mépris de l'intérêt général, qui serait d’accepter une prise de risque « minime » en se faisant vacciné afin de garantir « l'immunité collective » [https://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-vaccin-c-est-pour-les-autres-extension-du-domaine-de-l-egoisme_2154577.html ]. La complainte pourrait être audible si ces  notions  - « immunité collective », « intérêt général » -  avaient en l’espèce un tant soit peu de consistance. Qu'en est-il en réalité ? Comment ne pas voir dans l'intérêt général, un système décisionnel particulièrement ajusté à la promotion des intérêts privés, ceux qui nourrissent les profits de l'industrie pharmaceutique ? Comment ne pas douter de cette idée d'une immunité collective dont l'atteinte possible semble remise en cause par les données de la science elle-même, jusqu’à apparaitre désormais sans doute illusoire ? [« l’immunité collective est-elle encore possible avec le variant Delta  ? » https://www.numerama.com/sciences/732962-limmunite-collective-est-elle-encore-possible-avec-le-variant-delta.html - https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/covid-19-le-variant-delta-a-t-il-sonne-la-fin-de-limmunite-collective-4062146 ] .  Ainsi en fait de "vérité", toute communication fondée sur la recherche de l’immunité collective est-elle erronée pour ne pas dire fallacieuse. Dont acte.

Ces études qui remettent en doute cette possibilité, conduisent certains pays comme l'Islande à envisager « de renoncer à la stratégie de vaccination » [ https://www.ladepeche.fr/2021/08/10/covid-19-atteindre-limmunite-collective-ne-sera-pas-possible-avec-le-variant-delta-affirment-plusieurs-etudes-9725326.php ]. Du coup , Anne Rosencher, s'appuyant sur la longue série des articles de l’Expresse d'attaque en règle contre « les médecinesdouces » renchérit sur  « la philosophie toxique des antivax », remettant en cause tant  la « science » que la « cité » [https://www.lexpress.fr/actualite/societe/anne-rosencher-la-philosophie-toxique-des-antivax_2157293.html ]. Le plaidoyer est plaisant , tant il est contraint de signaler en son cœur même, la faiblesse de ses arguments,  en rappelant d'une part que « on ne dira jamais assez à quel point les errements du journal médical de référence, The Lancet (on s'est aperçu au début de la pandémie qu'il avait publié une étude biaisée par les conflits d'intérêts), ont eu des effets délétères. »  et d'autre part en remettant cela avec en lien avec « tous les mensonges de notre gouvernement » .

Difficile  pour l’Express, en effet de défendre à la fois, la stratégie développée par le gouvernement et …  le gouvernement. Un constat qui en dit long sur le bien-fondé d'une critique sans trop de nuances de ceux qui « n'ont aucun égard pour la fraternité institutionnelle qu’ est la citoyenneté » ;  et rendant peu crédible l'appel à « la confiance »  nécessaire selon elle à « la  cohésion trans-partisane ». Non, les politiques actuels, qu'on le veuille ou non, révèlent et attisent  toujours un peu plus les fractures sociales sanitaires, rendant caduque la croyance en la démocratie et le principe même du contrat social.

A la philosophie de la liberté de Luc Ferry, relayée par Anne Rosencher, on peut opposer celle de Barbara Stiegler particulièrement exposée dans son tract  « La Démocratie en Pandémie ». Pour elle aussi, comme elle l'affirme encore dans un récent entretien en journal « Reporterre » (https://reporterre.net/Barbara-Stiegler-Les-autorites-detournent-les-questions-sanitaires-pour-instaurer-une?s=09 )  :

« Les décisions prises par le gouvernement depuis le 16 mars 2020 construisent un pays fracturé où l’on oppose deux camps, celui du bien et celui du mal. On construit un affrontement entre vaccinés et antivax, créant un état de sidération dans la société qui empêche de penser et d’appréhender les questions avec nuance et précision. Toute position critique vous condamne à une dissidence invivable »

Elle montre dans cet essai « De la démocratie en Pandémie » que les politiques de lutte contre le virus, et qui se traduisent aujourd'hui par l'imposition du passe sanitaire, ne visent  pas tant  à préserver la santé publique, celle de l'ensemble de la population, mais bien un système socio-économique, celui-là même prôné et défendu  par l'idéologie libérale et qui se trouve être aussi la cause systémique à l'origine de la situation pandémique. Au final, le mouvement de contestation du passe sanitaire , les manifestations avec leur caractère « hétéroclite » (du point de vue sociologique) est «  un signe de santé démocratique » dont Barbara Stiegler veut se réjouir à un moment où « une partie des classes supérieures semble avoir renoncer au modèle démocratique ».

On le  voit , au cœur des enjeux, il y a la définition de la liberté et de la manière dont d’un camp à l’autre on l'appréhende, on la regarde, du point de vue de l'individu et du collectif (note en fin d’article).  Peut-on se dire qu'il s'agirait de trouver un équilibre, de ne valider que des mesures qui soient proportionnées à la menace et au danger que l'on cherche à contrôler ? C'est la position défendue par un troisième philosophe, Abdennour Bidar. Rappelant que «  la réponse à la crise sanitaire doit être proportionnée » que  « toute politique qui réduit la Liberté, doit le faire avec la plus juste mesure »  [ https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/07/29/passe-sanitaire-toute-politique-qui-reduit-les-libertes-doit-le-faire-avec-la-plus-grande-mesure_6089863_3232.html ]  ; et surtout que  « l'équilibre entre nécessité et coercition doit être au cœur du débat public ».  Pour Abdennour Bidar ce n’est pas « en communiquant permanence sur les chiffres », que l'État assure ce nécessaire « débat public »  indispensable à l'exercice réel de la démocratie. Apparaît bien plutôt aujourd'hui selon le philosophe un risque que le pouvoir ne bascule « dans l'hubris de la toute-puissance », en rappelant cette citation  citant Pascal « ne pouvant  faire que  ce qui est juste fut fort, on a fait que ce qui est fort fut  juste » ;  et que cet abus du  droit du plus fort, c'est-à-dire sans justice est «  tyrannique »
 
note : Voir aussi sur la construction sociale de la « liberté réelle» (c'est-à-dire son principe transcrit dans la réalité des règles comportementales) l’article de Jean-Claude Kaufmann dans le monde du 27 août . [https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/26/covid-19-sur-la-question-des-libertes-nous-confondons-le-principe-et-la-realite_6092363_3232.html] . Il appelle à ce niveau à un ajustement démocratique du périmètre de des libertés individuelles : « ici le débat doit effectivement s'ouvrir, car de nombreuses dérives autoritaires sont possibles ».  Il observe que les conditions de ce nécessaire débat démocratique ne sont pas vraiment réunies, du fait selon lui de l'exacerbation passionnelle des convictions personnelles, « spécialement dans les mouvements complotistes anti-système ». On peut juste regretter cette critique paresseuse, peu « compréhensive » (du point de vue sociologique ) des positions politiques anti-système…

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